Une Réunionnaise à Paris

C’est une fille venue de loin, de l’île de la Réunion. Lætitia a fait ses études à Paris, a travaillé en banlieue avant de retourner sur son île. Elle a depuis tout changé. Cap vers une nouvelle vie. La trentenaire nous raconte son parcours ainsi que le nouveau regard qu’elle porte sur la “Ville-Lumière” depuis qu’elle est revenue. Rencontre.

Peux-tu te présenter ?
Lætitia
Lætitia

Je m’appelle Lætitia. Je suis réunionnaise, j’ai 38 ans et je suis “expatriée” à Paris. J’ai décidé de changer de vie professionnelle et ai la chance de devenir cordonnière bottière.
J’ai grandi à la Réunion. Pour les études supérieures, puis le début de la vie pro, je suis venue m’installer en région parisienne. J’y ai vécu douze ans au total, construit toute une vie. Jusque-là, j’avais travaillé dans l’aménagement du territoire et la gestion de l’environnement pour divers services publics. A part une interruption au milieu, déjà en lien avec l’envie de changer de vie pour intégrer l’univers artistique, j’ai eu un parcours très “classique”. En complément de ma formation de base en environnement, j’ai intégré une formation “hygiène, qualité, sécurité”. A l’issue de celle-ci j’ai travaillé sur la gestion des déchets en milieu hospitalier. De là, je suis retournée vers les collectivités territoriales, en Métropole, puis à la Réunion où j’ai eu la très belle opportunité de rentrer, de travailler dans et pour mon île.
Et puis j’ai décidé de changer de voie professionnelle : d’ingénieur environnement, je suis devenue apprentie cordonnière-bottière chez les Compagnons du Devoir, à Paris.

Qu’est-ce qui t’a poussé vers ce changement ?

A 34 ans, j’ai réalisé que j’avais deux options : construire une vie matérielle très confortable, attendue, par rapport à la famille, la société et surtout par moi-même, dans l’image que j’avais de la réussite. Et de rester profondément triste et en colère avec la sensation permanente de perdre mon temps, ma vie du coup, d’être toujours inadaptée, toujours en décalage…
Ou alors, d’être totalement égoïste, et honnête avec moi-même aussi, et d’aller enfin vers ce qui avait et a du sens pour moi. En faisant un bilan de tout ce que j’ai vécu de bon comme de mauvais, j’ai relevé ce qui était important pour moi, ce qui avait du sens et qui m’épanouissait, me faisait plaisir, me faisait du bien.
Il en est ressorti que je souhaitais m’occuper des autres de manière indirecte avec un besoin fort d’interactions mais d’autonomie aussi. J’e voulais travailler de mes mains, développer ma créativité, mais aussi acquérir des techniques suffisamment variées pour que je ne m’ennuie pas…afin de ne surtout pas être assise à un bureau derrière un ordinateur !
De là, j’ai pris une disponibilité de mon statut de fonctionnaire. Je suis partie à la rencontre des gens, des artisans, et j’ai pu tester des tas de métiers. Je me posais des tonnes de questions, et le plus simple pour avoir les réponses, c’était d’essayer !
Je me suis présentée ainsi auprès de tous ceux qui je suis allée voir : « Bonjour ! Moi c’est Lætitia. J’ai envie de changer de métier et de tester le vôtre. Je ne sais rien faire à part le café, j’ai beaucoup de temps et je ne demande pas d’argent. Est-ce que ça serait ok pour vous de m’expliquer et de me montrer ce que vous faites ? Deux jours, ou quinze jours ? ». J’ai eu invariablement eu la même réponse (en dehors de la première réaction…levé de sourcil dubitatif : « elle est où la blague ? ») : « Génial ! C’est courageux ! Ben oui oui revenez demain et on passe du temps ensemble, je vous explique avec plaisir ! ».

C’était formidable ! J’ai testé des tas de métiers que je n’avais jamais faits : comme architecte d’intérieur, agent funéraire, décoratrice… Au fur et à mesure, les choses se sont précisées : oui j’aime les travaux manuels (grande question déjà pour quelqu’un qui était constamment derrière un bureau), quelles conditions de travail, quels matériaux, quels volumes, quel rythme, quels objets, quelles interactions sont épanouissantes pour moi…J’ai rencontré plusieurs cordonniers et podo-orthésistes et j’ai pu passer du temps avec eux à discuter et à observer, à essayer brièvement aussi.
C’est le métier de cordonnier-bottier qui rassemble pour moi tout ce qui est important dans ma vie, qui fait sens, c’est celui qui me correspond le plus, et c’est pour ça que je l’ai choisi. J’adore les chaussures, et c’est une manière pour moi de prendre soin des gens… J’avais envie de l’odeur du cuir et du cirage et j’avais besoin de faire fonctionner mon cerveau en utilisant une technique variée et complexe (coller ou utiliser des teintures ou des solvants requiert un minimum de concentration !).
Après tout, comme disait mon grand-père : “Quand on a de la chance, on a deux pieds. Quand on a encore plus de chance, ils nous portent jusqu’à notre dernier souffle. Mais il n’y a que ceux qui en ont conscience qui peuvent s’en émerveiller. Aussi, tu apprendras toujours beaucoup sur les gens si tu sais bien regarder leurs souliers”.

Recommencer à zéro, ça te faisait peur ?

Évidemment ! En même temps, c’était une telle évidence : c’était ce métier là et pas un autre. Je ne pouvais que tout faire pour réaliser ce rêve !

Quel est donc ton projet ?

A long terme, j’aimerai ouvrir ma propre cordonnerie-botterie afin de réaliser des chaussures sur-mesure.
Les gens qui vont chez le cordonnier tiennent à leur confort, et donc à eux-mêmes. De là, sans verser dans le fétichisme, ils ont un rapport à leurs chaussures qui peut être également affectif. J’aurai donc la chance de pouvoir participer à leur confort et à leur bien-être quotidien !
J’aime aussi l’idée de faire des chaussures pour des moments clés de la vie. Par exemple, lorsque les gens se marient, ils se font faire des chaussures pour marquer le coup. S’engager dans un chemin, avec de nouvelles chaussures faites exprès pour ça…C’est séduisant, non ?
Dans la même idée d’accompagnement, j’aimerai proposer dans ma “boutique-atelier” des créations adaptées à ceux qui ont un handicap particulier….Ca ne changera pas le monde (quoique !) mais on peut s’abstenir, en plus de souffrir physiquement, de se voir imposer des chaussures adaptées à son handicap et de devoir en plus porter des godasses franchement moches….
A plus court terme, j’aimerai reprendre une petite cordonnerie… Je connais déjà des professionnels qui sont un peu inquiets pour la reprise de leur activité car ils approchent de la retraite. Ce temps coïncide avec le temps de mon apprentissage…

Pourquoi être revenue à Paris ?

Pour faire ce métier, il faut une formation technique qui n’existe qu’ici. Ou du moins, c’est la seule que j’ai trouvé qui propose la botterie, et qui surtout avait tout un dispositif de financements mobilisables au départ de la Réunion.
Par ailleurs, pour tout quitter, je visais l’excellence. Cette formation est dispensée par les Compagnons du devoir, dont la réputation n’est plus à faire. J’ai eu cette chance extraordinaire d’avoir été acceptée chez eux, après avoir passé des tests d’entrée. J’ai trouvé l’entreprise qui m’accompagne dans le cadre de la formation. C’est donc le commencement d’une très belle aventure !

Quelles étaient les premières impressions lorsque tu es revenue à Paris ?

Je me suis dit : « Mon dieu que c’est sale ! » (Rires). Cela a aussi beaucoup changé, lié peut-être au fait que j’ai moi-même aussi beaucoup changé…
J’ai trouvé les gens beaucoup plus ouverts, accueillants, curieux, dynamiques… C’était plus facile qu’avant d’être en contact avec les Parisiens. Ma première partie de vie à Paris pour les études, et ensuite pour ma vie professionnelle, très prenante et en banlieue, ne m’a pas permis d’en découvrir toutes les richesses. Aujourd’hui, je vis à Paris et j’ai cette chance de la redécouvrir, cette fois-ci autrement.

Que représente Paris pour toi ?

Le champ des possibles ! J’aime le dynamisme, le rythme, la rencontre avec des gens, la possibilité de faire plein de choses… Les rencontres se font dans le métro, au café, à la cordonnerie, dans la rue, au kiosque à journaux, absolument partout ! C’est facile d’être en relation les uns avec les autres, de pouvoir discuter, échanger, aider, se soutenir, se confronter, s’épanouir, débattre, se cultiver, partager…

On dit pourtant les parisiens assez froids et distants…

Étonnement, depuis que je suis là, je n’ai fait que des rencontres absolument improbables, incroyables, extraordinaires de gens qui me racontent naturellement leur parcours de vie, leur passion, qui partagent leur enthousiasme… Je suis très étonnée de cela !! Et hyper contente aussi !!

Qu’est ce qui te frappe le plus chez les Parisiens ?

Je les trouve déconcertants ! Ce qui me frappe le plus, c’est de voir courir les gens dans le métro, partout, tout le temps, même sur des tapis roulants. Ils se jettent dans les rames de métro. Je trouve cette attitude très surprenante ! Des métros, il en a au maximum toutes les cinq minutes. Déjà, il y a des métros, en soit c’est génial ! Je me demande souvent pourquoi ceux qui se jettent comme ça ne s’accordent pas ces quelques minutes. Pour eux, pour profiter, lever le pied au lieu de se manger des portes de métro. Ce qui n’est franchement pas agréable ! Je me demande après quoi ils courent ainsi (rire) ! Comme ils vont très vite, ils donnent l’impression d’être inaccessibles… Alors que ce n’est absolument pas vrai !

Qu’est-ce qui te plait à Paris ?

J’aime les ginguettes, les lieux modernes, les monuments, l’architecture multiple, y compris les choses délabrées, désaffectées … Il y a un foisonnement d’architectures, de cultures, de musiques…Un choix qui est extraordinaire de choses à faire, à voir, à découvrir. J’aime le rythme de cette ville et aussi l’anonymat qu’elle procure. Ce qui me manque davantage, c’est la nature ! Mais j’aime cette possibilité à Paris de pouvoir tout faire de manière accessible.

Il y a-t-il un environnement de Paris qui t’attire plus particulièrement ?

Les arrondissements, je ne les connais pas encore bien sur la répartition de la carte parisienne.
Ceci dit, j’aime Montmartre !!!

J’ai eu la chance d’être très bien accueillie par de supers amis dans le 17ème entre Pigalle et Batignolles et j’aime beaucoup la vie de quartier dynamique, pas (trop) bruyante, régulière. Je me suis beaucoup promenée (et perdue) entre Montmartre, Pigalle, Opéra, Madeleine, les Halles ainsi que vers le canal Saint-Martin. J’aime beaucoup les dimensions des rues, toute la vie culturelle, les choses impromptues qui s’y passent. Partout, j’ai trouvé du monde, ça circule. Il y a des cafés, des restaurants. Chaque restaurant, chaque bar a sa propre énergie, sa propre thématique, sa propre dynamique. C’est tout le temps vivant ! L’ambiance est très généreuse !
L’Opéra est un point de rencontre formidable ! N’importe quel Parisien à qui vous demandez comment s’y rendre, va vous indiquer le chemin, souvent vous y emmener et engager ainsi la conversation. Le soir, en été, il y a des cours de danse. On peut y rester regarder, participer. Souvent, il y a des concerts sur les marches de l’Opéra. J’aime vraiment ce mixte.
Aujourd’hui, je découvre le 15ème, puisque j’y travaille. Il y a une petite vie de quartier très sympathique, c’est presque familial.
Et surtout j’aimerai vraiment mieux connaitre les secteurs de l’Odéon, République, Oberkampf, Bagnolet, La Villette…Les coins que je connais moins bien, que je découvre en ce moment et dans lesquels je me sens très à l’aise sont vers Fille du Calvaire ou Arts et Métiers.

Y a-t-il un lieu en particulier qui t’a le plus marqué ?

J’aime la Tour Eiffel. Évidemment. Comme tout le monde (Rires). Mais là, je suis très déçue… J’avais pris l’habitude d’y venir dans des conditions formidables. Le fait qu’on ne puisse plus accéder au pied de la Tour Eiffel et que le Champs de Mars soit encombré de petits commerces ambulants, a fait que ce lieu a perdu à mes yeux toute sa superbe… C’est un peu frustrant… En revanche, j’ai découvert l’Eglise Saint- Eustache et le quartier des Halles rénové. J’aime beaucoup ! Il y a le Passage Des Petites écuries que j’adore aussi. On y trouve plusieurs cafés et restaurants financièrement accessibles dans lesquels on y mange et boit bien. C’est rempli de monde et il y a toujours pleins d’expos ou de concerts qui y sont organisés.

Quelles sont tes activités favorites dans la capitale ?

J’adore marcher (rires) dans les rues, dans les parcs, observer tous ces bâtiments, ces architectures !
C’est un peu un truc de vieille, mais j’adore aussi me poser en terrasse des cafés quels qu’ils soient afin de regarder les gens passer. J’observe les interactions entre eux, les Parisiens avec les touristes, les “entre-soi”… J’aime ce qui se passe dans les différents parcs : ils ne sont pas du tout aménagés de la même manière. Il y a des ambiances et des énergies différentes. Et ça fait du bien de retrouver la nature !
J’aime, par-dessus tout, me rendre aux concerts. Ce n’est pas compliqué de trouver un endroit où se joue de la musique. Il y en a tout le temps, à tous les coins de rue. Je trouve ça formidable de rencontrer des gens en écoutant de la musique !

Ton endroit préféré pour prendre l’apéro ?

J’aime changer de café tous les jours ! Ceci dit, j’affectionne La Paillotte et Petit Bain, à proximité du métro Quai de la Gare…Le cadre bord de Seine est très sympa, ambiance décontractée : cela donne un peu l’impression d’être en permanence en vacances. Il y a aussi le Troisième Café, métro Arts et Métiers, pour prendre un café avec une équipe accueillante. J’aimerais aussi me rendre au Social Bar dont je n’entends que du bien. Il se trouve métro Gare de Lyon. Enfin, pas pour l’apéro mais pour la gourmandise, il y a Puerto Cacao, vers métro Ledru Rollin. C’est petit, cosy, généreux…et c’est très bon !

Ton quartier préféré ?

Aaaaahhh choisir ! (Rires) J’aime vraiment Montmartre. Et j’ai beaucoup à découvrir encore…Mais pour le moment, mon quartier préféré reste entre Les Halles et le Marais. C’est vivant ! Il y a du monde, des expos à voir, des animations, de la musique… On trouve de tout, tout le temps et c’est ça qui est génial !

Et que recommanderais-tu à celles et à ceux qui ne connaissent pas Paris et qui souhaiteraient la découvrir ?

Soyez ouverts et testez ! Aller voir sur Internet pour dénicher les bonnes adresses, faites- vous une idée et …surtout, oubliez tout ce que vous avez pu imaginer ! Venez, profitez, savourez. Promenez-vous, perdez-vous… C’est la meilleure manière de découvrir cette belle ville !

Et pour celles et ceux qui y vivent et qui en ont oublié ses bons côtés ?

Je me souviens de ce jour dans le métro où j’ai rencontré une dame qui disait : “ Ah ! Je n’aime pas Paris et les Parisiens !”. Je lui ai répondu : “Moi, j’adore !” Oui c’est vrai, l’hiver est long ici…. Mais, voyez votre ville comme si c’était la première fois de votre vie, comme si vous descendiez de l’avion ou du train sans y avoir jamais mis les pieds…. On la chance de vivre dans l’une des villes que le monde entier nous envie. Oui, on vit dans un quotidien souvent prenant, stressant, comme partout finalement ! Ce qui est nécessaire c’est de se poser la question, et d’agir en conséquence, de savoir si on est bien à Paris…ou ailleurs. Ici tout est possible, vous pouvez tout faire ! Du sport, du chant, de l’orgue, que sais-je encore ! Ici, tout est accessible ! Allez-y, foncez ! Car dans le fond, peut-être ce n’est pas tant l’endroit où on vit, mais comment on vit qui est important…Même si, comme les plantes, il y a des sols qui nous conviennent mieux !

Une anecdote à raconter ?

Il y en a eu plein ! Une fois, je me suis complément perdue. Je cherchais le métro. J’ai pris la rue dans la mauvaise direction. Il s’est mis à pleuvoir des trombes d’eau. Des gens m’ont offerts spontanément de m’abriter sous leur parapluie. Certains m’ont proposé de boire un café. On s’est mis à papoter et trois heures plus-tard, on s’est retrouvés au restaurant. Ces personnes-là m’ont présentée d’autres personnes. Depuis, elles sont devenus des amies !

Et si Paris était une image, à quoi ressemblerait-elle ?

A un feu d’artifice !

Un mot de la fin ?

Merci ! Merci la vie ! Parce que j’ai cette chance de savoir que je voulais faire ce métier-là, d’avoir eu le courage de me lancer, et surtout d’avoir été soutenue dans mes démarches… Oui, c’est vraiment formidable et pourvu que cela dure ! Et puis…une demande officielle (Rires) : Parisienne, Parisien, si tu aimes ta ville et que tu as envie de partager un moment pour me la faire découvrir, fais-moi signe, j’en serai enchantée !

Propos recueillis par Marina Al Rubaee

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