Un tiers de notre vie à dormir. Et visiblement, les artistes n’ont jamais trouvé ça ennuyeux. Depuis le 9 octobre 2025, le musée Marmottan Monet consacre son automne à un sujet inattendu : le sommeil. L’exposition « L’Empire du sommeil », visible jusqu’au 1er mars 2026, explore nos nuits comme on explore un paysage : entre mystère, abandon et rêverie. Ici, on croise des dormeurs bibliques, des siestes impressionnistes et même des insomnies modernes.
C’est un parcours poétique, un peu hypnotique, qui rappelle qu’il y a mille façons de “fermer l’œil” sans jamais s’endormir d’ennui. Un moment suspendu pour Parisiens fatigués… autrement dit, tout le monde. Plongez avec nous dans l’univers de Morphée.

L’empire du sommeil, un sujet jamais traité
Au musée Marmottan Monet, le sommeil devient un terrain d’exploration artistique. L’exposition “L’Empire du sommeil” réunit plus de 120 œuvres venues de collections publiques et privées, du XVe siècle à aujourd’hui. Peintures, sculptures, vidéos : tous les médias s’y mêlent pour raconter une même fascination, celle du moment où la conscience bascule.
On y découvre comment les artistes ont observé le relâchement, la vulnérabilité, la part mystérieuse de l’humain quand il dort. Le fil rouge ? La lumière. Celle qui effleure un visage assoupi ou qui disparaît dans l’obscurité d’un rêve. L’idée n’est pas de représenter le sommeil, mais de comprendre ce qu’il révèle : la frontière fragile entre le visible et l’invisible, entre le réel et le rêve.
En somme, une expo qui parle d’art… mais aussi de nous, quand on lâche enfin prise.
Trois manières de rêver en peinture
L’exposition déroule le sommeil comme une histoire à trois temps. D’abord, celui des saints et des songes mystiques : Jacob, le Christ endormi, les anges au repos… Le sommeil sacré, calme et lumineux, évoque une paix d’un autre monde. Ici, le rêve est une grâce, un espace où le divin murmure à l’oreille des hommes.
Puis vient le sommeil des corps. Sous le pinceau de Courbet, de Chassériau ou de Picasso, il devient abandon, lenteur, sensualité tranquille. Les Vénus assoupies ou les femmes alanguies respirent la vie plus qu’elles ne posent. Rien d’appuyé : juste cette beauté fragile du moment où la vigilance s’efface.
Enfin, le parcours glisse vers le sommeil moderne, celui de nos nuits agitées. On y croise Munch, Chagall, ou des artistes contemporains qui traduisent la fatigue du quotidien, la lumière des écrans, les pensées qui refusent de s’éteindre. Le rêve n’est plus sacré ni sensuel : il devient une résistance douce au vacarme du monde.
En sortant de ces salles, on a l’impression d’avoir feuilleté un carnet d’insomnies et de siestes mêlées. Un miroir tendre de nos propres nuits, celles où l’on flotte entre deux mondes sans jamais tout à fait dormir.

Trois arrêts qui valent le coup d’œil
Avant de sombrer complètement dans les bras de Morphée version musée, on vous glisse trois haltes à ne pas zapper. Des œuvres qui résument à elles seules tout l’esprit de “L’Empire du sommeil” : entre abandon, rêve et regard contemporain sur nos nuits agitées.
- Gustave Courbet, La Voyante ou la Somnambule, 1855
Réalisme et mystère se mêlent dans cette toile fascinante. Courbet y explore les états modifiés de conscience, entre veille et sommeil. Le modèle, probablement la plus jeune sœur du peintre, semble figé entre deux mondes : le regard perdu, le visage blême, la tension du silence. Les ombres épaisses et la lumière latente traduisent ce passage fragile entre rêve et réalité. Une peinture à la fois intime et énigmatique, où Courbet s’aventure dans un territoire rarement exploré : celui du sommeil comme seuil de l’invisible.

- Evelyn de Morgan, Nuit et Sommeil, 1878
Deux figures allégoriques glissent dans un ciel velouté : Nuit et Sommeil, frères mythologiques, s’enlacent dans une atmosphère feutrée. On y sent la lenteur du monde, la paix suspendue. Les drapés, baignés de mauve et d’or, rappellent que le repos peut être une forme d’éternité. La femme peintre britannique signe ici une œuvre douce et symboliste, à la fois mystique et sensuelle.

- Félix Vallotton, Femme nue assise dans un fauteuil, 1897
Proche des Nabis (artistes postimpressionnistes d’avant-garde), Vallotton montre une femme profondément endormie, le bras tombant, la tête renversée. Le décor géométrique et les aplats colorés créent une tension presque cinématographique. Ce n’est pas un simple nu : c’est un instant de vulnérabilité, où la peinture frôle le voyeurisme, entre pudeur et abandon.

Le conseil de Lutèce : on suit le flux, mais on s’autorise de belles pauses. Ces trois jalons calment l’œil, installent un tempo, et rappellent que le thème n’est pas décoratif. Ici, le sommeil pense autant qu’il berce.
Marmottan, temple du calme
À deux pas du Ranelagh, le musée Marmottan Monet reste un havre discret dans Paris. Ancien hôtel particulier du XIXᵉ, il offre une ambiance feutrée, baignée de lumière naturelle, parfaite pour une parenthèse loin du bruit et des files interminables. Ici, on flâne plus qu’on ne visite.
Les infos en bref :
- Du 9 octobre 2025 au 1er mars 2026
- Mardi–dimanche : 10h–18h, nocturne jeudi jusqu’à 21h
- Tarifs : 14 € (plein), 9 € (réduit), gratuit pour les moins de 7 ans
- 2 rue Louis-Boilly, Paris 16ᵉ, métro La Muette ou RER C Boulainvilliers
- Durée conseillée : 1h15 pour un vrai moment de calme
En sortant, prolongez la douceur avec un café au Ranelagh ou une balade dans le parc. Une expo qui s’apprécie comme une sieste urbaine réussie.
Pourquoi on en ressort détendu (et un peu rêveur)
Parce que l’exposition “L’Empire du sommeil” ne cherche pas à éblouir. Elle apaise.
Ici, pas de grand spectacle, juste des silences, des gestes lents, des visages abandonnés. L’exposition parle de nos nuits, de notre fatigue, de ce moment où l’on lâche prise. Et dans un Paris qui court, c’est presque un luxe de s’arrêter. On y redécouvre le plaisir de regarder sans réfléchir, de laisser la lumière faire son travail. On sort du musée un peu ailleurs, comme après une sieste réussie. Un conseil : ne luttez pas contre le calme, laissez-le vous gagner. Marmottan prouve qu’on peut rêver debout et c’est déjà beaucoup.
Entre rêve et réalité : une expo qui nous ressemble
Parce qu’ici, pas besoin d’être historien de l’art pour comprendre : tout le monde dort, rêve ou cherche le sommeil. L’exposition touche à ce qu’on vit tous, chaque nuit, sans y penser.
Elle relie les tableaux aux sciences du sommeil, aux songes de Freud, aux lumières des écrans qui troublent nos nuits modernes. On y flâne sans effort, entre art et introspection douce. Chaque œuvre rappelle une sensation familière : la lourdeur d’une paupière, le calme d’un matin, la chaleur d’un drap. Bref, “L’Empire du sommeil”, c’est un miroir tranquille de nos vies éveillées et endormies. Une parenthèse à savourer lentement, yeux mi-clos.

Fermer les yeux, respirer, regarder autrement. C’est tout l’esprit de “L’Empire du sommeil” au musée Marmottan. Paris peut bien s’agiter dehors : ici, on a trouvé le calme.
Rédactrice digital nomade, écrit pour le blog depuis 2019.