Paris sort ses couleurs d’été, et mise sur… le noir. Depuis le 17 septembre et jusqu’au 11 janvier 2026, le Musée du Luxembourg déroule une expo inédite : Soulages, une autre lumière. Peintures sur papier. Pas de grandes toiles monumentales, mais près de 130 œuvres sur papier, dont 25 jamais montrées. Fusains, encres, brou de noix, gouaches : un laboratoire discret où Pierre Soulages, décédé en 2022, testait gestes et matières. Une expo intime, directe, parfaite pour souffler entre deux terrasses. Réservation conseillée, mais l’expérience vaut le détour. Ici, le noir n’éteint pas : il éclaire.

Soulages, mode d’emploi express
Pierre Soulages est né en 1919 à Rodez et s’est éteint en 2022, à 102 ans. Le peintre reste associé à une invention majeure : l’outrenoir, ce noir qui capte et reflète la lumière au lieu de l’absorber. Installé entre Paris et l’Aveyron, il a bâti une carrière internationale, récompensée par le Grand Prix national de peinture en 1986, puis par des rétrospectives au Louvre et dans les plus grands musées.
Dès les années 1940, il travaille le papier avec obstination : fusains nerveux, encres profondes, brou de noix au grain particulier, puis gouaches intenses. Le papier devient pour lui un terrain d’essai, plus libre que la toile monumentale. Ces expérimentations, souvent restées dans l’ombre, nourrissent toute son œuvre future. Le Musée Soulages de Rodez, inauguré en 2014, en conserve l’essentiel, mais Paris en dévoile ici un choix exceptionnel.
Une autre lumière : pourquoi le papier ?
L’exposition réunit près de 130 œuvres de Pierre Soulages, dont plus de 25 inédites, issues en grande partie du Musée Soulages de Rodez. Ici, le papier n’est pas un support secondaire mais un vrai laboratoire. Le peintre l’a dit lui-même, il « a toujours refusé d’établir une hiérarchie entre les différentes techniques qu’il utilise ». Chaque feuille témoigne d’un geste, d’un outil, d’une matière qui explore la relation entre noir et lumière. Fusain, brou de noix, gouache ou encre : les techniques varient mais la quête reste la même, trouver comment la surface accroche ou libère la clarté.
Le parcours suit une chronologie fluide, des années 1940 aux années 2000. On passe des premiers essais au fusain, où l’on sent la main qui cherche la force du trait, aux gouaches plus tardives, presque abstraites, où le noir devient vibration. Le papier dévoile la liberté d’un artiste moins monumental, plus intime, mais tout aussi radical. Une plongée qui éclaire l’ombre autrement.

Regarder le noir autrement
Le noir n’est jamais plat chez Soulages. Sur papier, il se transforme en terrain de jeu intime. Encres, brou de noix ou gouaches n’éteignent pas la lumière : ils la captent. Chaque geste, chaque tache semble dialoguer avec le blanc du support. Contrairement aux toiles monumentales de l’outrenoir, où l’on se sent englouti, le papier offre une proximité. Vous êtes face à l’échelle humaine, au grain visible, presque palpable.
Le musée invite à prendre son temps. Ne regardez pas ces œuvres de loin comme des tableaux classiques. Avancez, reculez, déplacez-vous légèrement. La lumière se déplace avec vous. Les commissaires de l’expo parlent de rythme : les séries créent une respiration. On passe d’un papier saturé à un autre plus sobre, comme une partition musicale en noir et blanc.
Bref, ici le noir ne fait pas peur. Il brille, il vibre, il s’invente sans cesse. À vous d’y trouver votre propre reflet.
Les pièces à ne pas rater

Difficile de tout voir d’un seul coup d’œil, mais certaines pièces méritent un arrêt prolongé. Dans les salles d’ouverture, un grand fusain des années 1940 donne le ton. On y sent déjà le geste ample, la matière qui cherche la lumière dans le noir le plus profond. Plus loin, une série au brou de noix des années 1950 surprend par ses transparences. Le liquide sombre se mêle au papier, créant des zones d’ombre et de clarté qui évoquent presque un paysage abstrait.
En fin de parcours, une gouache tardive rappelle la liberté du peintre dans ses dernières décennies. Plus compacte, plus dense, elle montre un Soulages toujours en quête, jamais figé. Ces trois arrêts suffisent à comprendre la richesse du papier comme terrain d’expérimentation. Chaque support devient une scène où la lumière joue, où le noir respire.
Échos croisés : Paris, Rodez et Montpellier
Derrière l’exposition parisienne se cache une collaboration solide. Le Musée Soulages de Rodez, qui conserve plus de 500 œuvres, a prêté une grande partie des pièces présentées au Luxembourg. Sans lui, impossible de suivre ce fil du papier à travers six décennies. En parallèle, le Musée Fabre de Montpellier propose en 2025 « La rencontre », un dialogue entre Soulages et d’autres maîtres modernes.
Ces rendez-vous créent une dynamique nationale. On peut commencer sa découverte à Paris, puis prolonger le voyage à Rodez ou Montpellier. Un vrai parcours “Soulages en France” se dessine pour les passionnés prêts à quitter la capitale. Chaque étape offre une lumière différente, fidèle au peintre qui répétait que son noir ouvrait toujours sur autre chose.
Infos pratiques qui changent la visite
L’expo « Soulages. Une autre lumière » se visite jusqu’au 19 janvier 2026 au Musée du Luxembourg (19 rue de Vaugirard, 6ᵉ). Les portes ouvrent tous les jours de 10h30 à 19h, avec une nocturne le lundi jusqu’à 22h. Vous pouvez réserver en ligne, ce qui reste conseillé pour éviter l’attente. Côté tarifs, comptez 15,50 € en plein, 11,50 € en réduit. Les moins de 16 ans entrent gratuitement. Et l’opération “Places aux Jeunes !” permet aux 16–25 ans d’entrer à deux pour 10 €, du lundi au vendredi après 16h.
Prévoyez 1 h à 1 h 15 pour profiter pleinement des salles. Le flux est plus calme le matin en semaine. En sortie, la boutique propose un catalogue richement illustré, parfait pour prolonger l’expérience. L’expo s’adresse à tous, même à ceux qui pensent que « le noir, c’est noir » : ici, il y a toujours une lumière qui attend.

Chez Soulages, le noir n’éteint rien. Sur papier, il éclaire. Chaque trait, chaque tache, révèle un geste brut, sans détour. L’expo au Musée du Luxembourg offre une heure de pause qui s’imprime bien plus longtemps. Pas besoin d’être expert pour se laisser happer : on regarde, on se rapproche, on respire. Paris vous tend un rendez-vous avec la lumière cachée derrière le sombre. Sortez, et vous verrez peut-être la ville différemment, avec ce petit éclat en plus.
Rédactrice digital nomade, écrit pour le blog depuis 2019.