La Sorbonne, ça se visite ? Mais oui ! J’ai ainsi découvert un autre visage de l’université… Et plongé au cœur de cet endroit chargé d’Histoire.
Qui connaît la partie “académique” de la Sorbonne, celle fermée au public ?
A priori, personne… sauf lorsqu’on a la chance de participer à une visite organisée. Celle-ci se fait en groupe, une fois par mois.
Le rendez-vous a lieu fin janvier, un samedi matin. « La visite commence à 10 heures. Mais arrivez un quart d’heure plus tôt pour payer les 9 euros de droit d’entrée », prévient le jeune homme à qui j’ai téléphoné la veille pour m’inscrire.
Malgré cette recommandation, j’arrive un peu en retard, confuse… Les participants, tous emmitouflés dans des manteaux, avec gants, écharpes et bonnets, patientent déjà dans la grande cour. Nous sommes environ une quarantaine, âgés pour la plupart d’une cinquantaine d’années, chacun avec son appareil photos en bandoulière. Parmi les quelques jeunes présents, l’un d’eux me confie qu’il vient juste d’obtenir son diplôme ici même et qu’il est curieux de découvrir l’autre aspect de la Sorbonne.
“Fluctuat nec mergitur”
Notre conférencier, sobrement vêtu de noir, un foulard blanc noué autour du cou, accueille les retardataires avec bienveillance. Après avoir ramassé les tickets d’entrée, il conduit la troupe jusqu’à une porte qu’il prend bien soin de refermer à clé derrière lui.
Nous nous retrouvons dans un immense hall. La voix de notre guide résonne sous les hautes voûtes. Il commence à énumérer des chiffres, à préciser des dates, à donner des faits… « Près de 18 000 personnes passent ici chaque jour. Savez-vous que la Sorbonne compte 130 000 étudiants et que la maison mère, c’est-à-dire ici, n’en abrite que 12 % ? Les autres sont répartis entre les universités de Paris XIII, Jussieu, Paris III et Paris IV. On étudie la science, le droit, la philosophie, les lettres, les langues… » détaille-t-il.
C’est parce que ce cadre prestigieux ne pouvait pas contenir tous les étudiants, que ces nouveaux lieux universitaires ont vu le jour.
La visite se poursuit et nous voilà devant un majestueux escalier qui donne sur des coursives au premier étage. Les murs sont tapissés d’immenses fresques. « Mais nous verrons cela plus tard », lance notre accompagnateur.
Il s’attarde sur des symboles, un livre qui incarne le monde de la connaissance et du savoir, les emblèmes RF pour République Française, les armes de la ville pour souligner que Paris est propriétaire des lieux mais que l’État prend à sa charge la moitié de son budget. Et, comme un rappel, la devise de Paris, pied de nez en réponse aux attentats du 13 novembre dernier : Fluctuat nec mergitur, une phrase latine qui signifie : “Il est battu par les flots mais ne sombre pas” !
Des tapisseries remplies d’allégories
Après avoir grimpé l’imposant escalier, nous voici au premier étage.
Une Marianne, maîtresse de la tolérance, domine avec majesté. Elle tient dans ses mains une corne d’abondance pour montrer combien la République est nourricière. Derrière elle, un tapis de fleurs de lys effacé pour signifier que la République que les rois ne sont plus et qu’elle a maintenant toute la place.
Sur les murs, des tapisseries qui datent du XIXe siècle. Chacune raconte une histoire sous forme d’allégorie, un épisode de la vie de la Sorbonne, depuis sa fondation au Moyen-âge.
L’attention de l’assemblée est palpable. On n’entend plus que les déclics des appareils photos et des portables. « Les flashs sont interdits. Ils abîment les œuvres », avait averti notre accompagnateur. La consigne a été respectée.
Il égrène les débuts de l’université. La Sorbonne doit son existence à Robert de Sorbon. Ce théologien est né en 1201 dans un village des Ardennes – dont il porte le nom – et est mort le 15 août 1274 à Paris En créant la Sorbonne, il voulait permettre à des étudiants séculiers en théologie de poursuivre leurs études sans avoir à se préoccuper de problèmes matériels.
Ce fils de paysan avait eu lui-même des difficultés financières pour pouvoir aller à l’école. Il a donc voulu éviter aux nécessiteux la honte qu’il avait lui-même connue.
Il placera la Sorbonne sous la protection du roi Saint-Louis et non de l’évêque, s’affranchissant ainsi de la tutelle papale, à la condition toutefois d’étudier le latin. De même, les forces de l’ordre ne peuvent intervenir à l’intérieur de l’établissement…
On se souvient encore des manifestations de mai 1968 et des policiers qui piétinaient devant ce haut lieu de la contestation étudiante… sans pouvoir entrer.
Tout le monde boit les paroles du conférencier. Celui-ci évoque Montaigne, Rabelais… Il pose des questions, titille ceux qui hésitent à répondre… avant d’abréger leurs supplices en fournissant les bonnes réponses. Un quizz amusant qui permet de faire une pause.
Naissance des jeux Olympiques
Une autre clé, une autre porte… Nous entrons dans une grande salle dont les murs en boiseries sont ornés de peintures. On l’utilise pour des réceptions. On y organise également des séminaires, des conférences. Dans la salle mitoyenne, le mobilier de la famille Richelieu, une collection privée accessible pendant les Journées du Patrimoine.
Nous passons ensuite dans une nouvelle salle, celles dite “des actes”. Une grande table avec des sièges en bois sculpté occupent tout l’espace. Ici sont signés certains actes officiels. Sur les murs, une galerie de portraits, ceux des recteurs– ils sont nommés par le chef de l’État – qui se sont succédé à la tête de la Sorbonne. Parmi eux figurent deux femmes.
Dans une petite vitrine on aperçoit le masque mortuaire du cardinal de Richelieu.
La visite se poursuit dans le grand amphithéâtre : 2500 places, dont seules 1 000 sont accessibles. On n’y donne plus de cours mais c’est là que se déroule la remise des diplômes, une habitude très américaine remise au goût du jour “à la française”, une cérémonie qui plaît beaucoup aux étudiants et qui leur font sentir leur appartenance à la maison Sorbonne.
C’est sur la grande scène de ce même amphithéâtre que Pierre de Coubertin, alors âgé de 31 ans, a réclamé, le 25 novembre 1892, le rétablissement des jeux Olympiques. C’est également ici que l’Unesco a vu le jour. Ici sont passés Nelson Mandela, Bill Clinton, et aussi des écrivains comme Simone de Beauvoir…. Des grands noms de l’Histoire. Une Histoire qui a évolué mais dont le cadre, lui, n’a pas bougé. Et tout autour, des statues, des figures majeures de la connaissance : Decartes, Lavoissier ou encore Pascal qui semble être perdu dans ses pensées… Alors qu’il ne fait qu’écouter !
Le cardinal et son tombeau
La visite se termine par la chapelle de la Sorbonne dans laquelle fut enterré le cardinal Armand Jean du Plessis de Richelieu. Mais les soubresauts de l’Histoire sont passés par là.
Le 5 décembre 1793, les révolutionnaires saccagèrent son tombeau. Ils exhumèrent la dépouille et la décapitèrent. On ne sait pas exactement ce qu’il advint du corps : peut-être fut-il jeté à la Seine, ou bien placé dans un des caveaux de la Sorbonne, qui faisaient alors office de fosse commune. La tête du cardinal, elle, fut emportée par un commerçant parisien. La Terreur finie, ce dernier offrit la partie antérieure de la tête– le visage – à un certain abbé Boshamp qui, à sa mort, en 1805, la légua à son tour au maire de Plourivo, un petit village breton situé dans les côtes d’Armor. Mise à l’abri à Saint-Brieuc, la relique ne retrouvera la Sorbonne que le 15 décembre 1866 lors d’une cérémonie en présence du ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy. En 1896, Gabriel Hanotaux, ministre des Affaires étrangères, la place dans un coffret scellé qu’il fait recouvrir d’une chape de ciment armé, dans un lieu proche du tombeau. Un tombeau placé sous un mausolée en marbre de Carrare qui fut achevé en 1694, soit cinquante-deux ans après la mort de Richelieu.
Enfin, le 4 décembre 1971, la tête du cardinal retrouve sa place originelle au cours d’une cérémonie officielle présidée par le ministre de la Culture de l’époque, Jacques Duhamel.
Fin de l’histoire… Et de la visite qui au lieu des deux heures prévues, a duré trois heures et demie.
Un petit tour dans la boutique pour acheter quelques babioles à l’effigie de la Sorbonne : « L’argent récolté, tout comme celui des visites, sert à loger les étudiants Sdf », confie notre mentor. Ce qu’aurait souhaité Robert de Sorbon.
Une immersion hors du temps, au cœur même de l’Histoire. Je vous la recommande !
Marina Al Rubaee
Pour en savoir plus :
www.sorbonne.fr/la-sorbonne/visiter-la-sorbonne/
Tarif : 9 euros par personne, 4 euros pour les étudiants et les familles nombreuses. Gratuit pour les universités franciliennes et les écoles en Sorbonne
Tel. : 01 40 46 23 48
E-mail : visites.sorbonne@ac-paris.fr