Interview de Malaïka – « Ce que j’aime, c’est raconter des histoires »

Dynamique, enjouée, chaleureuse et pas avare de mots, Malaïka nous a invité à boire le thé, par écrans interposés, dans son cocon. Aussi passionnée que passionnante, elle a partagé avec nous son amour pour le théâtre, l’opéra, son métier et Paris avec en prime, ses bonnes adresses qui plairont, à coup sûr, aux amateurs du quatre heures. Rencontre avec une parisienne solaire, pétillante et unique.

Et si on faisait les présentations ?

Je m’appelle Malaïka, j’ai 35 ans, je vis avec mon mari à Villejuif et je suis guide-conférencière à Paris, en français, anglais et espagnol.

Dis-nous tout sur ton métier de guide !

Je travaille pour mon compte, mais aussi avec 5 ou 6 agences qui font appel à moi pour des missions régulières. En général, elles me passent un coup de fil : « es-tu dispo tel jour, telle heure, pour telle visite ? ». Certaines agences ont des parcours définis, dans ce cas elles me donnent un road book avec ce qu’il faut faire et voir globalement. Je les lis, ça me donne des idées pour structurer mes visites, mais je ne les suis pas à la lettre ! Puis il y a des agences qui me disent, « est-ce que tu peux faire une visite sur telle thématique ? » sans plus d’indications.

Je ne suis pas très scolaire, je fais partie d’une nouvelle génération de guides. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires. Dans les musées, je n’aime pas tellement parler technique, je trouve ça abstrait, je préfère commenter le tableau en lui-même, ce qu’on voit, ce qu’il représente, raconter quelle est son histoire, pourquoi il est célèbre, etc. Ce qui m’importe, c’est que les gens comprennent ce que je dis au moment où je le dis et surtout, qu’ils passent un bon moment.

Dans ce cas, comment prépares-tu tes visites ?

Que l’agence me fournisse une trame ou non, il y a beaucoup de travail personnel. Vous pouvez faire dix visites du Marais avec dix guides, les dix seront différentes selon les goûts et la personnalité de chacun. On nourrit nos visites en amont avec ce qu’on aime, par nos lectures, nos connaissances personnelles, mais aussi, pendant la visite, avec ce que le client nous dit, ce qu’il nous renvoie. Moi j’aime beaucoup l’histoire des mentalités. J’aime replacer les choses dans leur contexte. Par exemple, la guillotine qu’on juge atroce et inhumaine aujourd’hui – à juste titre – était considérée à l’époque comme un progrès profondément humaniste. On ne peut pas raconter l’histoire et les évènements avec notre point de vue actuel, il faut les replacer dans leur contexte pour les comprendre. J’aime aussi les visites dégustations parce que je les refais à ma sauce en reprenant mes adresses personnelles que je répertorie dans mon « carnet fou ». Je suis très curieuse, je laisse mon détecteur de bons plans, que j’appelle « mes petites antennes », allumé en permanence. Je propose toujours des sorties originales à mes amis. La dernière en date ? Le lancer de hache, ça a beaucoup surpris !

Quels sont tes coins préférés à Paris et tes adresses favorites ?

Ce que j’aime à Paris, c’est qu’on a jamais tout vu. Même si pour mon métier j’arpente pas mal la ville, je me rends compte qu’il y a encore des coins que je ne connais pas vraiment. Les parisiens se plaignent parfois des touristes, mais moi, ça me touche de voir ces gens qui viennent de loin pour découvrir ces choses si belles de notre ville, alors que nous, on ne les regarde même plus.

J’aime le Jardin de l’Hôtel de Sully, c’est un petit passage paisible, une parenthèse, on s’y sent un peu hors du monde. J’aime aussi les passages couverts parce que c’est toujours animé et les Jardins du Palais-Royal. Je suis également une adepte des salons de thé. J’aime aller chez Odette* car il y a une salle à l’étage avec une toute petite fenêtre qui donne sur Notre-Dame. Le Sept Cinq**, qui est sur la Canopée aux Halles, est vraiment pas mal avec une bonne sélection de thé et des pâtisseries maison. J’aime également le SweetSpot*** rue Mouffetard. Leur spécialité, c’est les pâtes à tartiner ! C’est familial et très détendu. Si l’on cherche une ambiance plus feutrée, il faut aller chez Jacques Genin**** rue de Turenne, le chocolat chaud est incroyable !

Tu as toujours voulu faire ce métier ?

Plus ou moins ! Après mon Bac, je suis entrée à l’École du Louvre. À cette époque, j’avais en tête de devenir soit guide, soit conservatrice. Malheureusement, je n’ai pas eu ma première année et à ce moment-là, mon père a été muté à La Réunion. Je ne savais pas quoi faire, redoubler mon année ou partir. Très franchement, ça me bottait bien d’aller vivre à l’autre bout du monde, alors j’ai suivi mes parents !

Là-bas, j’ai fait une double licence de langues, anglais – espagnol, puis au bout de ces trois années, je suis rentrée en métropole. J’ai poursuivi avec une école de communication pour être attachée de presse, j’ai été diplômée en 2008 mais la période était compliquée dans le milieu alors je suis rentrée dans la Marine comme professeur d’anglais. J’ai passé cinq mois sur un bateau ! Une très belle aventure humaine. Puis j’ai passé trois ans en communication interne à l’État-Major de la Marine, rue Royale à Paris, puis les deux années suivantes de l’autre côté de la Seine, à l’Ecole militaire, où j’organisais des séminaires et des conférences.

Quand mon contrat s’est terminé, je suis revenue à la com’ dans une agence de relations de presse. Je ne me sentais pas vraiment à ma place alors j’ai cherché ce qui me faisait vraiment vibrer : j’aime aller voir des expos avec des amis, en discuter, partager ce que je sais. Dans un sens, je suis revenue à mes premières amours et le métier de guide m’a semblé évident. Alors j’ai entamé une formation au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) en parallèle de mon boulot, car en France, pour guider en musée, il faut être détenteur d’une carte de guide-conférencier. Pour l’obtenir, il faut une licence professionnelle, qui se déroule en 3 ans, mais il y a des équivalences. Comme j’avais déjà deux diplômes de LLCE (langues, littératures et civilisations étrangères et régionales), j’ai pu accéder à la formation du CNAM qui correspond à la dernière année de licence.

Tu es aussi une fervente passionnée de théâtre…

Le théâtre, c’est mes premières amours, depuis les kermesses en maternelle. J’ai découvert Molière en primaire, Shakespeare au collège et au lycée, je me suis inscrite à l’atelier théâtre, ça n’avait pas trop plu à mes parents d’ailleurs, mais j’étais assez timide et c’était un moyen de me dépasser et de sortir de ma zone de confort. J’ai eu deux déclics à cette époque-là. Quand j’étais en 1ère, grâce à l’atelier théâtre, on allait voir des pièces. On a vu Lucrèce Borgia cette année-là et j’ai eu un choc, j’ai trouvé ça super intense, je me souviens de cette impression d’avoir vu quelque chose d’incroyable et de m’être dit « c’est fort ». Puis en terminale, on a joué la pièce de fin d’année dans le vieux théâtre, avec les dorures, les loges et c’est là que je me suis dit, « je veux faire du théâtre ».

Et tu n’as jamais lâché cette envie depuis…

À la Réunion, je me suis inscrite au conservatoire et aux deux ateliers théâtre de la fac. Quand je suis rentrée en métropole, j’avais envie d’être comédienne, mais je pense que mes parents n’auraient jamais été d’accord et je n’ai pas vraiment eu le courage de l’assumer. Alors je me suis dit : « j’ai envie de transmettre, je parle plusieurs langues, tiens, et si faisais une école de com’ pour être attachée de presse dans ce qui me plait, c’est à dire dans le domaine de la culture. Je vais défendre des artistes, des spectacles ». C’est mon côté raisonnable qui a pris le dessus mais tout au long des années qui ont suivi, ça n’a pas arrêté de me trotter dans la tête. Puis un jour, ma mère m’a donné un tract trouvé dans le panier d’un Vélib’. Ça disait : « vous aimez chanter, vous aimez le théâtre : intégrez une troupe d’opérette ». L’opéra, je n’y connaissais rien. Pour moi, c’était des gens qui chantaient bizarrement. Mais pourquoi pas ! Ça ne pouvait que me faire du bien de monter sur scène et de retrouver cette ambiance de troupe que j’aimais tant quand j’étais à La Réunion.

Comment as-tu vécu tes premiers pas dans l’univers de l’opérette ?

C’était une troupe amateure. On préparait La Belle Hélène d’Offenbach et quand on a distribué les rôles, comme je pensais ne pas avoir une voix trop nulle, j’étais persuadée d’avoir un petit rôle… Et là, le drame, on ne m’a rien donné ! J’ai pris un sacré coup dans mon égo ! Du coup, je me suis mise à prendre des cours avec une prof en me disant « ils vont voir, l’année prochaine, je vais progresser et c’est sûr, ils me fileront un petit rôle ». Mais j’admets que je n’étais pas très assidue. Puis un jour, ma petite sœur qui était de passage à Paris, m’a proposé d’aller à l’opéra avec elle. On est allées voir La fille du régiment de Donizetti. Je ne connaissais absolument pas mais le nom de la chanteuse me disait quelque chose : c’était Nathalie Dessay. Comment dire que c’est l’une des meilleures de sa génération… Et ce soir-là, j’ai entendu des trucs incroyables, j’ai eu un nouveau choc, et je me suis dit « je veux faire ça ! »

On peut dire que tu as attrapé la fièvre de l’opérette !

À partir de ce moment, j’ai mis le doigt dans l’engrenage, jusqu’au coude ! Dès le lendemain, j’ai commencé à prendre des cours de chant toutes les semaines, à écouter de l’opéra, à en regarder aussi parce que la dimension théâtrale est très importante pour moi. J’ai persévéré et commencé à passer des auditions pour entrer dans d’autres troupes. En parallèle, j’ai repris le théâtre. J’ai joué dans La Dame de chez Maxim de Feydeau, et pour la première fois, j’avais un rôle de vipère, c’était jouissif car en opérette, comme je suis soprano légère, ce ne sont que des rôles de jeunes filles, de soubrettes. Par la suite, j’ai passé l’audition du Chanteur de Mexico – que je pensais avoir complètement ratée – et surprise, la metteuse en scène m’a donné le premier rôle féminin !

Théâtre, opéra, opérette : tu dois avoir un look particulier non ?

Je ne suis pas une dingue de vêtements mais j’adore les accessoires. J’ai un style globalement plutôt classique, mais j’aime lui donner de la personnalité avec des pièces un peu rétro comme par exemple les cols à la victorienne, je trouve que ça change le port de tête. Mais surtout, j’accessoirise beaucoup : j’aime les chapeaux, les gants, et surtout ce que j’appelle « ma quincaillerie », principalement des boucles d’oreilles, j’en ai toute une collection. Je peux sortir sans maquillage mais pas sans quincaillerie !

Toi qui es très dynamique, comment t’occupes-tu pendant le confinement ?

Au début, j’ai eu une sorte de vertige du vide. J’ai végété pendant quelques jours et puis je me suis rendue compte que j’allais m’ennuyer. Moi qui n’ai jamais le temps, là d’un coup j’en ai ! J’en profite tous les matins pour faire de l’italien puis du solfège, des exercices de chant non bruyants et j’écris mon journal de confinement. Et puis, je suis certes au chômage technique mais une partie de mon travail ce n’est pas que de guider, alors je fais ce que j’appelle du « fond », c’est à dire que je lis des bouquins, des magazines, surtout sur des expos, les numéros spéciaux de Beaux Arts Magazine ou de Connaissance des Arts par exemple, pour avoir des idées claires et synthétiques sur un artiste ou un mouvement.

Je regarde aussi pas mal de théâtre. Il y a tellement de salles qui ont mis des choses en ligne, c’est génial pour moi. Je me dis que le temps est bloqué et j’essaye de faire en sorte que ce temps ne soit pas inutile. Je suis accro à la chaine de la Comédie Française, il y a des programmes toute la journée et chaque soir, une pièce de théâtre. On trouve aussi plein de choses sur Culturebox de France TV, sur le site de l’Opéra de Paris, de l’Opéra Comique, du Théâtre des Champs-Elysées, du théâtre Chaillot pour la danse et puis il y a toutes les visites virtuelles de musées ! J’ai listé plein d’idées sur mon blog d’ailleurs !

Je fais aussi un peu de pâtisserie, j’ai fait des scones, une fondue au chocolat et une brioche pour Pâques, des cookies, etc. Et puis mon mari est un fan jeux de société, il a fait une ludothèque impressionnante à la maison. Nous jouons surtout le midi pendant sa pause déjeuner et le week-end, parce que tous les soirs il y a le lever de rideau de la Comédie Française, faut pas déconner !

Justement ton blog, parlons-en !

Je l’ai créé quand je suis arrivée à la Réunion, ça fait 15 ans maintenant ! À l’origine, c’était pour les amis en métropole parce que, ce qui me manquait, c’était les conversations sur le dernier film ou spectacle qu’on avait vu, le dernier livre lu donc j’ai commencé à faire ça pour eux. C’est une dominante culturelle : expo, théâtre, spectacles, livres, cinéma, voyages.

Que consignes-tu dans ton journal de confinement ?

Je me suis dit que ça m’aiderait à réfléchir, à coucher sur papier ce que je pouvais ressentir, mes doutes, mes malaises, mes peurs, il y a un côté exutoire. Comme on a du temps, je me suis dit que c’était l’occasion d’installer une habitude. Et puis dans mes recherches pour mes visites, je me rends compte aussi de l’importance du témoignage. Par exemple, quand on étudie une crise ou une révolution, à postériori on voit les choses autrement mais c’est intéressant de voir comment elle a été vécue de l’intérieur. Peut-être que ma famille ou mes neveux le liront dans quelques années et qu’il se marreront bien !

Tu es fan de Shakespeare, si on n’est pas initié, par quelle œuvre commencer ?

Moi j’ai une passion pour Roméo et Juliette, je vais voir toutes les versions que je peux au théâtre, opéra, ballet, bref, chacun ses obsessions ! Mais ce n’est pas le plus accessible. Je conseillerais plutôt de commencer par Othello et Macbeth parce que ce sont des histoires universelles qu’on peut transposer à n’importe quelle époque. Othello, c’est l’histoire de la jalousie, Macbeth, celle de l’ambition dévorante. Quoi de plus universel ?

Et l’opéra ?

Je dirais d’emblée l’opérette parce que c’est beaucoup plus accessible : il y a plus de textes parlés, c’est spontané, comique. Offenbach, c’est très bien pour commencer et puis on a déjà entendu quelques airs. Il y a aussi les opérettes de l’entre-deux-guerres d’André Messager, de Maurice Yvain ou celles dont le livret est de Sacha Guitry. Les personnages féminins y sont très pétillants. Pour l’opéra classique, je dirais Carmen avant tout, parce que l’histoire est simple – un crime passionnel – qu’on connaît tous une partie des airs, ne serait-ce qu’au travers de la pub, et surtout, parce que c’est en français ! Puis La Traviata de Verdi et Les Noces de Figaro de Mozart.

Tu te vois où dans quelques années ?

Je ne me dis pas que dans trois ans je serai professionnelle, mais j’ai envie de donner encore plus de place au spectacle dans ma vie, autant que possible. J’ai envie de faire du théâtre, de l’opéra, de l’opérette, j’ai envie de m’amuser, de partager. Je veux pouvoir faire de beaux projets, des projets que j’ai envie de défendre, des projets qui me rendent heureuse, car je pense que c’est quelque chose de communicatif, jusque dans la salle. Pour le moment, je vais déjà continuer à réviser Un doute raisonnable, dont les représentations ont été interrompues par le confinement, et que nous espérons pouvoir redonner à l’automne. Et ensuite, apprendre un prochain rôle, puisque je vais jouer Junie dans Britannicus. Je suis morte de trouille parce que cette pièce est un monument du théâtre, et c’est la première fois que je suis confrontée à des alexandrins, mais j’ai hâte !

Quoi de prévu pour le 11 mai ?

On sait qu’on va pouvoir sortir mais que rien ne sera ouvert ! Professionnellement, je n’aurai sans doute pas de visites, en tout cas, pas tout de suite. Même pour les répétitions de théâtre ça va être compliqué. Je n’ai pas envie de prendre le métro, les parcs vont être pleins… Hélas, je pense que ça va s’installer dans la durée pour moi, aussi bien sur le plan professionnel que personnel. Je vais prendre mon mal en patience, poursuivre mes leçons d’italien, le solfège, les lectures, et puis la Comédie Française a dit qu’ils continueraient à diffuser leur chaîne tant que les salles ne rouvriraient pas, alors que demander de plus ?

Retrouvez Malaïka sur son blog : http://akialam.over-blog.com/

Et sur son site professionnel : https://malaikaguide.com/

*Odette Paris, 77 Rue Galande, 75005 Paris

**Sept Cinq, 26 Rue Berger, 75001 Paris

*** SweetSpot, 108 Rue Mouffetard, 75005 Paris

****Jacques Genin, 133 Rue de Turenne, 75003 Paris

Céline Coelho


A propos Céline Coelho

Rédactrice digital nomade, écrit pour le blog depuis 2019.

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